Transcrire la peau des choses et peindre la mémoire des êtres.
Jacqueline Waechter peint de préférence la nuit, lorsque tout s'apaise. Le silence l'accompagne, il permet la salutaire méditation.
Elle engrange des émotions, des symboles des éléments , tout ce qui la structurent, elle, et son univers. Tant de sensations de tous ces horizons mêlés, interrogations d'écrivains, de poètes, de musiciens. Comment retranscrire vraiment ce monde à multiples facettes ? .
Dix années en noir et blanc à " cuisiner " la gravure en taille douce, explorant des univers apparentés au symbolisme, oeuvrant essentiellement sur les jeux subtils des gris ou les contrastes lumineux, amènent l'artiste à redécouvrir en 1990, les teintes colorées et le matériau sensuel de la toile.
La peinture de Jacqueline Waechter, nourrie de la lumière des jours et des nuits, s'étoffe de ses visions-émotions pour dépeindre le jeu des mémoires entrecroisées.
Multiplicités des inspirations
Impressions d'enfance : une seule reproduction d'art, celle des tournesols de Van Gogh dans l'appartement familial parisien ; la musique classique des musiciens romantiques :
A sept ans la vision des oeuvres, du visage d'Alberto Giacometti en janvier 1966.
A 14 ans, les premières chansons de Michel Berger, Léonard Cohen, Pink Floyd et Syd Barrett, la musique de Jean Sébastien Bach et d'Erik Satie, les cantates de Vivaldi .
A quinze ans, le premier choc visuel : la lumière de Venise, ses places et ses murs délités par les ans, qui lui semblent vivre une vie propre qui la fascine.
Sans cesse elle va alors parcourir les terres italiennes s'attachant aux régions les plus humbles, les plus pauvres et les plus méconnues de manière à retrouver la quintessence d'une civilisation antique mythique. S'extraire du monde actuel pour mieux le retrouver, se retrouver, dans ses principes originels...
À 20 ans, deuxième grande impression picturale ressentie face aux peintures à fresques de Pompeï. Désirs nourris : élaborer une peinture ,teintée de couleur intemporelle, issues de la terre nourricière, ocres, rouges d'oxyde de fer, cobalts.
Longue et délicate introspection au travers des traités de techniques anciennes.
Éprouver les recettes utilisant des cires naturelles d'abeille, à la manière des portraits égyptiens du Fayoum... Et toutes ces formes de grattages (souvenirs des pointes de la gravure ?), pliages, collages, empreintes...
Jacqueline Waechter dessine comme une poésie picturale des éléments architecturaux. Elle relate sa vie aux travers de portes et de fenêtres les plus souvent closes, dessine son histoire, peint une dramaturgie de l'existence, entre repli et protection, imagination et dévoilement.
La quête de l'âme de ces petites choses offertes, bouleversantes pour qui prend le temps de les re-garder.
L'oeuvre de Jacqueline Waechter communique avec d'autres mondes lorsqu'elle s'y re-connaît. Mise en abîme...
Cinéma italien : Les " portraits inspirés ", ce sont les multiples masques peints des personnages de Pasolini, Fellini, De Sica, Olmi, Rosi... Tous ces cinéastes de la péninsule dont elle ressent les oeuvres comme une invite à créer de multiples icônes "post-modernes".
En 1990 au hasard des rencontres, Jacqueline Waechter est amenée à peindre dans l'appartement parisien de Guillaume Apollinaire, qui lui est prêté par son propriétaire avant qu'il n'effectue sa rénovation.
Elle recueille chaque morceau de tissu chaque bribe de papier, de vêtement, ou de papier peint, et réalise une série d'oeuvre consacré au poète. Sur les murs de la chambre de Guillaume sont présents à l'état de traces fantomatiques les empreintes noircies des châssis dont les toiles portaient les signatures des plus célèbres peintres fauves et cubistes. Impressionnantes fantasmagories...
Elle voyage ainsi que le fit le poète en Belgique, en Allemagne et dessine, multiples croquis d'une oeuvre " kaléidoscope. "
La rencontre de la peinture et de l'écriture, c'est comme un chant, une musique, et de cette aventure naissent des " oeuvres-dialogue "
Ce parcours initiatique mène de l'oeuvre très figurative à l'oeuvre quasi abstraite ou inversement.
Dès 1998, les sculptures, alliées aux peintures sur grandes bâches sont présentées en installations scénographies, mythologies actuelles,.. des musiciens accompagnent ces évènements rêvés comme des mini-opéras...
Le peintre se fait aussi paysagiste, l'auteur d'une partie des aménagements paysagers du Parc International d'Expositions de Paris Nord à Villepinte. (200 hectares réalisés de 1982 à 1999)
Est ce le hasard si elle aime conduire des architectures végétales, vivre leur évolution, si elle respire avec la pluie, le rayon de soleil, si elle aime toucher les diverses terres, les souches, comme pour s'abreuver aux sources de la vie grouillante des plantes toujours un peu étranges à ses yeux ?
L'artiste reste à l'affût de toute étincelle qui mettra en effervescence la " machine mystérieuse " de son cerveau et de ses mains, étrange et ô combien passionnante alchimie, creuset intense de toutes ses créations.
Camille Stern